Quel contraste entre le portrait de Pigault-Lebrun, du médaillon réalisé par David d’Angers en 1831 et le buste de la façade du théâtre de Calais ! Jeune élégant au regard rêveur vêtu à la mode des Incroyables, et portraits de l’écrivain, aux traits sévères. Ce contraste est d’autant plus remarquable qu’une dichotomie flagrante apparaît entre les portraits et la vie de Charles-Antoine-Guillaume Pigault de l’Épinoy, dit Pigault-Lebrun. Si l’image la plus répandue est celle d’un homme relativement âgé, installé et reconnu, les œuvres et les faits les plus marquants de sa vie prennent place à l’époque du portrait plus rare d’un Pigault-Lebrun en jeune homme de son temps.

C’est en effet sous de tels traits, plus juvéniles encore, qu’il faut imaginer le jeune homme de dix-huit ans partant pour Londres se former au négoce, séduire la fille de son patron, l’enlever et s’enfuir avec elle vers le Brésil, voyage au cours duquel la jeune fille trouve la mort dans le naufrage de leur bateau. Pigault revient seul à Calais où son père, le maire de Calais Guillaume-Antoine-Hippolyte Pigault de l’Épinoy, le fait emprisonner une première fois. En 1776, suite à une nouvelle aventure amoureuse, il est à nouveau incarcéré à la demande de son père mais parvient à s’échapper. Il rejoint alors une troupe de théâtre, rencontre et épouse la fille d’un artisan, ce qui provoque une nouvelle fois l’ire paternelle. Le père, qu’une telle affirmation de liberté révulse, fait disparaître le fils en le retirant des registres d’état civil ! Pigault accole alors le nom de sa mère au sien pour devenir Pigault-Lebrun et publie en 1786 sa première pièce de théâtre, Il faut croire à sa femme, suivie en 1789 de Charles et Caroline où il évoque ses démêlés avec son père, qui seront également au cœur de son premier roman, L’enfant du carnaval, publié en 1796.

C’est au moment de ses premiers succès littéraires qu’il faut replacer ce portait d’un écrivain prolixe qui publie pas moins de 27 pièces de théâtre, qui comptent parmi les pièces les plus jouées de son temps, et 70 romans, qui connaissent un succès considérable. Ses personnages sont inspirés de ses contemporains et de sa jeunesse mouvementée qui alimente les intrigues de ses écrits, où la figure du père occupe une place particulière et où les péripéties amoureuses constituent le sujet principal. « On ne crée pas les caractères, il faut les prendre dans la nature, parce que, hors la nature, il n’y a rien. » dit Pigault-Lebrun dans la postface de Monsieur Botte (1802). Cet attachement à observer ses contemporains explique certainement que ses romans furent appréciés par Balzac, Stendhal ou Flaubert. Le regard rêveur du portrait ne semble pas correspondre au premier abord à l’image d’un jeune homme épris de liberté, prêt à tout pour vivre la vie qu’il s’est choisie et qui revendique dans ses romans une morale légère et n’hésite pas, dans un style dépouillé mais vivant et drôle, à évoquer les plaisirs charnels. Homme de son temps, il pourfend le clergé et sa morale hypocrite, notamment dans son pamphlet anticlérical Le Citateur (1803).

Alors que son œuvre et le succès qu’il rencontra sont ancrés dans la Révolution et l’Empire, l’image qui nous est parvenue de lui est paradoxalement celle d’un homme reconnu, mûr ou âgé, qui vit sous la Restauration, qui censura certains de ses ouvrages pour amoralité ! Quelques portraits moins sévères évoquent son attachement à sa famille et une fin de vie loin des frasques de sa jeunesse, entouré de sa seconde épouse, de sa fille et de son gendre, grand-père attentif, écrivant en 1831 des Contes à mon petit-fils, le futur écrivain et dramaturge du second Empire Émile Augier.

Ces quelques portraits témoignent ainsi des différentes vies de Pigault-Lebrun.

Corinne Barbant
Responsable de la médiathèque de Calais