Ce petit-fils de Charlemagne est aujourd’hui méconnu voire inconnu. Et pourtant, il est considéré comme le premier écrivain en pré-français et une des sources historiques essentielles de la vie politique carolingienne de son époque. Certainement né en 800 à Aix-la-Chapelle, il est le fils de Berthe, une des filles de Charlemagne, et d’Angilbert, son
gendre et conseiller. Membre de l’aristocratie carolingienne, il est investi de missions importantes. C’est un guerrier, qui prend part à plusieurs conflits aux côtés de son cousin Charles le Chauve, notamment lors de la bataille de Fontenoy en 841, où il commande avec succès une aile de l’armée. Il serait d’ailleurs mort lors d’une bataille opposant Charles le Chauve à Pépin II d’Aquitaine près d’Angoulême le 14 juin 844.
Personnage encore mystérieux, sa mort fait toujours débat auprès des historiens. Certains pensent qu’il serait décédé lors d’une bataille le 15 mai 845 contre des Vikings voire en 858-859 en Neustrie ou en Amiénois toujours contre des Vikings. Son crâne porte les stigmates d’un coup mortel reçu à la tête.

Nithard est aussi et surtout un laïc grand lettré, ce qui est rare pour l’époque. L’essentiel de ses écrits est en latin mais dans l’ouvrage commandé par Charles le Chauve, intitulé L’Histoire des fils de Louis le Pieux, une partie est narrée en pré-français et en tudesque. Cette œuvre, non achevée par l’auteur, est composée de quatre livres. Elle commence à la mort de Charlemagne en 814 et s’achève en 843 avec les préliminaires du traité de Verdun.

À la manière d’un chroniqueur, Nithard est un témoin privilégié au cœur des manœuvres politiques de sa famille. Il raconte les luttes pour le pouvoir entre ses cousins Charles le Chauve et ses demi-frères, Lothaire et Louis le Germanique, qui cherchent à s’octroyer l’empire forgé par son grand-père. La partie rédigée en pré-français a pour contexte les Serments de Strasbourg, échangés le 14 février 842 entre Louis et Charles. Quatre phrases sont écrites en
pré-français aux côtés de phrases en tudesque (pré-germain) et en latin. Ce qui en fait le plus ancien écrit en langue romane ou pré-français.

La postérité n’a pas fait preuve d’un grand intérêt pour Nithard, qui reste méconnu. C’est à la découverte des Serments de Strasbourg à la Renaissance que la lumière est projetée sur ce carolingien. Ce traité n’est en effet connu que par l’Histoire des fils de Louis le Pieux. Encore aujourd’hui, l’émergence précoce, inattendue voire paradoxale d’un usage écrit, politique et littéraire de cette langue vernaculaire, qui en était encore à ses balbutiements, étonne. En choisissant le pré-français et le tudesque à la place du latin, Nithard tend à montrer que les deux protagonistes, Charles et Louis, se reconnaissent mutuellement une autorité sur les parties francophone et germanophone de l’empire, délaissant la langue officielle de l’unité impériale, le latin. Ainsi les Serments font des langues vernaculaires l’expression de l’alliance mais aussi la délimitation des territoires attribués et officiellement partagés quelques mois plus tard par le traité de Verdun. Et peut-être l’identité de ces derniers.
Enfin, ces Serments ont certainement été rédigés dans l’Abbaye de Saint-Riquier fin 841-début 842. Comme son père, Nithard devient comte-abbé de Saint-Riquier en 844. Sa mission est alors de défendre le littoral de la Manche et l’arrière-pays des incursions Vikings, en plus de diffuser la chrétienté.

Nithard est enterré à Saint-Riquier aux côtés de son père sous le portail de l’abbatiale. La sépulture a été retrouvée par l’archéologue Honoré Bernard en 1989.

Amandine Kermann
Médiatrice au Centre culturel départemental
de Saint-Riquier et spécialiste de l’Histoire de l’abbaye