Une éternelle vallésienne
Début 1880, Caroline Rémy, âgée de vingt-cinq ans, rencontre Jules Vallès à Bruxelles. Elle est séparée de corps de son premier mari Henri Montrobert et enceinte d’Adrien Guebhard. Sa rencontre avec l’ancien communard exilé en Belgique va changer sa vie. Les deux personnages opposés en tout – âge, milieu social, expérience – se prennent d’amitié l’un pour l’autre. Grâce à lui, elle prend conscience de la réalité vécue par le peuple et découvre le métier de journaliste qu’elle décide d’embrasser contre la volonté de sa famille. Après une tentative de suicide, elle commence à écrire et à partir de 1881, devient « le secrétaire » de Vallès suivant ses conseils pour écrire ses articles. En 1883, Vallès relance Le Cri du peuple grâce aux fonds investis par Guebhard. Elle y écrit ses premiers articles rapidement signés du pseudonyme Séverine. Quand Vallès meurt en 1885, elle reprend la direction du journal, devenant la première femme directrice d’un quotidien national. Un an après la mort de son mentor, le 15 février 1886, elle écrit un magnifique article pour rendre hommage à celui qu’elle nomme son « enfant » et son « père ». Face à une forte opposition, idéologique et personnelle, elle quitte Le Cri le 29 août 1888.

Une « reporteresse » engagée
Dès ses débuts dans le journalisme, Séverine pratique le reportage : en 1887, un incendie détruit l’Opéra-Comique et elle se rend sur place pour essayer d’en établir les causes et déterminer les responsabilités. Lorsqu’en 1890, un coup de grisou se produit dans les mines près de Saint-Étienne, elle fait le déplacement, descend dans la mine et ouvre un « carnet » afin de recueillir des dons pour aider les mineurs. En 1892, alors que des « casseuses de sucre » se sont mises en grève contre une baisse de salaire, elle s’introduit dans une usine accompagnée par des ouvrières afin de décrire avec précision leurs conditions de travail qui mettent en péril leur santé. À cette occasion, elle ne manque pas de dénoncer le train de vie luxueux de l’industriel propriétaire de l’usine. Elle pratique ainsi un « journalisme debout », à la première personne, privilégiant l’immersion qui favorise l’identification.

Une frondeuse de la première heure
En 1897, Marguerite Durand fonde La Fronde, quotidien « politique et littéraire », « dirigé, administré, rédigé, composé exclusivement par des femmes » et elle fait appel à Séverine. Rapidement, le quotidien, qui accueille toutes les grandes plumes féministes de l’époque, est salué pour son sérieux et s’engage aux côtés de Dreyfus, en publiant le « J’accuse… ! » de Zola dès le 14 janvier 1898 et en envoyant trois femmes à Rennes pour rendre compte du second procès qui se tient du 7 août au 9 septembre 1899. Séverine est bien sûr du voyage et rédige une série de chroniques judiciaires qu’elle regroupe en 1900 dans le recueil Vers la lumière… Cet engagement a des conséquences directes sur sa carrière puisque certains journaux cessent toute collaboration avec elle. L’expérience de La Fronde, qui s’achève en 1905, scelle une amitié durable entre Séverine et Marguerite Durand : cette dernière rachète la maison de Pierrefonds à la mort de son amie pour en faire une résidence d’été des femmes journalistes.

Une Pétrifontaine d’adoption
Séverine commence à fréquenter Pierrefonds-les-Bains, ville thermale reliée à Paris par le train, dès les années 1896, mais c’est en 1904 qu’elle y achète la maison qu’elle baptise « Les Trois Marches » en souvenir de l’auberge où elle s’était installée à Rennes lors du deuxième procès Dreyfus. Séverine, née à Paris et profondément parisienne, trouve à Pierrefonds un refuge loin du tumulte parisien et des attaques dont elle fait l’objet, où elle peut accueillir proches et amis et vivre entourée de ses animaux. Elle y vit jusqu’à sa mort le 23 avril 1929 et y est enterrée en face de son mari. Sur sa tombe, est gravé : « J’ai toujours lutté pour la Paix, la Justice et la Fraternité. »